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rencontre avec un pick pocket

Il y a quelques années, le Futuroscope inaugurait un nouveau cinéma "interactif" où à certains moments cruciaux de l'action, l'image se figeait et les spectateurs, à l'aide d'un boitier de commande individuel, pouvaient choisir le déroulement de la suite de l'histoire en votant pour l'une des issues proposées.Je me rappelle que l'opératrice se plaignait de n'avoir jamais vue en un an qu'une seule version de l'histoire. Les gens disait-elle, choisissent toujours la même solution.

C'est bien normal que la plupart des histoires de Riad Sattouf se passent dans le métro,on y passe tellement de temps et il s'y passe toujours quelque chose.
Celle là aussi se passe sous terre, hier soir vers 22H sur la ligne 6 quelque part entre Etoile et Denfert-Rochereau. Calé sur un strapontin contre la paroi opposée à la sortie de la rame,chemin retour d'une scéance cinoche tardive. Mon livre je l'ai terminé à l'aller. Ne reste plus qu'à me repasser les images des films dans la tète et observer autour de moi les corps et les visages fatigués cachés sous de lourds manteaux et emballés de chapkas poilues qui font fureur ici en ce moment.

Le voilà qui entre.

Quelle station? Aucune idée...il est grand, belle gueule, fin, élégant.
Une élégance toute parisienne: le long manteau noir tombant sur le jeans gris bleu, les mocassins brillants et béret anglais,façon Samuel L Jackson, pas Bourvil.
Il observe rapidement autour de lui et s'assoit sur le strapontin à ma gauche,les strapontins sont étroits, nos manteaux se touchent.
Encore une ou deux stations plus loin il se relève et se fixe à une barre dans le carré central où s'engouffre un groupe de quadras bruyants et joyeux.

Les portes se referment,la rame redémarre.

Bref coup d'oeil autour de moi, me revoilà isolé à nouveau en marge du petit groupe. Pourquoi ce type s'est-il levé s'il ne semble pas prèt à descendre? j'inspecte des yeux et du nez si je ne suis pas venu m'asseoir au dessus d'une flaque de vomi ou de pisse séchée que je n'aurais pas sentie et qui aurait faite fuir mon délicat voisin.Non, rien sous les semelles non plus.Bon, peut ètre cette proximité excessive qui s'impose lorsque deux personnes se retrouvent côte à côte sur les maigres strapontins aura faite fuir le bonhomme.Oh et puis merde,s'il est agoraphobe il ne devrait pas prendre le métro.
Le groupe de quadras offre une spectacle divertissant pour quelques minutes: il n'y a là que des hommes, eux aussi vétus de longs manteaux noirs comme mon jeune ex-voisin qui se fond maintenant au milieu d'eux comme un membre à part entière du groupe. Quelle originalité tous ces gens qui s'habillent pareil...Ils sont tous debout sauf un, une en fait. Je ne vois pas son visage mais celle qui semble ètre la seule femme de la bande s'est assise et j'apperçois par intermittence entre la chute des manteaux ses jambes lisses réhaussées de bas sombres et d'un paire de bottes noires lui remontant sous les genoux.Cette agréable vision érotique à l'air d'avoir déclenchée une compétition joyeuse mais acharnée parmis les mâles. Debouts face à elle assise dans la promiscuité de la rame, penis séparés de son visage par seulement quelques couches de fibres et de centimètres, ils plaisantent et jouent la comédie à son exclusivité.J'observe ces visages rougeaux et replets,ils doivent sortir d'un restaurant où ils ont tous sauf elle pris la formule entrée-plat-dessert. Je m'attarde sur la nuque d'un petit chauve trapu qui présente ce petit rebond de chair à la rencontre avec les épaules qui habituellement reste caché par les cheveux.Ils ne sont pas très beaux.Chacun y va de sa blague et parle plus fort que son copain pour impressionner celle qui est l'objet commun de leurs fantasmes.Tant mieux s'ils se pressent autour d'elle, je peux rester assis.
Dans l'étroit canyon de manteaux, je vois mon voisin de tout à l'heure,fixé à sa barre, toujours impassible, le regard perdu dans le tunnel.

Et puis sans savoir pourquoi mon regard descend sur ses mains.Comme totalement indépendante de son corps,la droite fouille dans la poche d'un des quadras à la recherche d'un portefeuille ou autre objet de valeur qui tiendrai dans une poche. La victime est à des années lumières de s'en rendre compte, trop occupé qu'elle est comme les autres à tenter sa chance avec les longues jambes bottées.
Une vague de sang me monte au cerveau et mon estomac se rétracte. Je suis le seul témoin et que je le veuille où non me voilà catapulté un des acteurs clefs de l'histoire qui est en train de se dérouler sous mes yeux. Je fixe à nouveau le type au béret,pendant que sa main fourrage dans la poche du type, je réalise que sur son visage en apparences impassible se lit en réalité une tension indescriptible. Il est concentré et tendu à en exploser. Comme contenu dans un cercle parfait, le centre de son visage commence à rougir.Peut ètre la qualité de self-control du pick-pocket se lit-elle à la taille du cercle rouge sur le visage pendant l'action.
Quelle va ètre la suite de l'histoire:
Si je donne l'alarme c'est l'explosion à coup sur. Rame en marche, le type se retrouverait sans issue face à 5 lourdeaux qui ont forcés sur le chablis et qui ne manqueraient certainement pas une occasion d'impressionner leur collègue féminine en rossant le jeune béret. Et lui, se laissera t'il prendre sans broncher? Et s'il avait un couteau dans son manteau pour s'en sortir quand les choses tournent mal?
Moi aussi je prend mon rôle à coeur maintenant, je joue tant bien que mal à Vincent qui n'a rien vu alors qu'à l'intérieur c'est l'ébulition totale.
La bombe ne demande qu'à péter et c'est moi qui ait le détonateur en main.
Ils ne savent pas,et il ne sait pas non plus que je sais.
Puis soudain une pensée me traverse l'esprit, je fouille ma veste pour voir si mon portefeuille s'y trouve encore, il y a à peine une minute ce type était collé à moi.Précaution exagérée car mon portefeuille se trouve encore là, dans ma poche de poitrine.Mais après les histoires et expériences vécues que l'on m'a raconté je sais que ces types sont de véritables magiciens. Une amie traversant las ramblas à Barcelone s'était aperçue au bout de la rue que son sac était toujours bel et bien fermé, mais que le portefeuille ne s'y trouvait plus.
La main a attrapé quelque chose. Elle sort du bout des doigts un cordon beige au bout duquel doit se trouver un portefeuille ou un appareil photo numérique.Bonne pioche pour le béret. Je ne sais pas quoi faire, étrangement je me sens une complicité avec ce type et j'admire sa dextérité.S'il me regarde maintenant je pense que je lui ferais un sourire entendu. Mais revoilà un autre sentiment qui remonte à l'assaut: voler c'est mal, regarder et se taire c'est ètre complice. Je tente d'accrocher son regard en le fixant des yeux, s'il voit que j'ai vu il devrait abandonner cette affaire. Bon prince, je le laisserai alors partir comme si rien ne s'était passé. Mais il est bien trop concentré et bien trop prêt du but pour abandonner son butin, je tente maintenant d'accrocher son regard dans le reflet de la vitre, comme celà arrive si souvent par mégarde avec des inconnus lorsque dans la noirceur des tunnels les vitres se transforment en parfaits miroirs.En vain.

La rame commence à ralentir.
Le jeune béret s'éloigne du groupe pour rejoindre une autre porte, ils ne lui prètent aucune attention.Il passe devant moi et là, dépassant de sa poche je vois le petit cordon beige.
L'histoire va se terminer dans quelques secondes, je suis sens dessus dessous.Je me lève et fonce dans le groupe, étonné de me retrouver brutalement et de mon plein grès si proche de ces visages que j'observe depuis mon siège depuis tout à l'heure. Ma tête se glisse au milieu des leurs, comme un membre d'une équipe de rugby lorsque se prépare le plan d'attaque avant la mélée.
"s'il vous plait, s'il vous plait!"
Les portes s'ouvrent brutalement,le flot des gens commence à entrer bruyamment, le type au béret doit sortir maintenant.
Ils me dévisagent, sur la défensive mais rassurés par leur supériorité numérique, certains m'ignorent et continuent de parler.
"S'IL VOUS PLAIT ECOUTEZ MOI!"
le ton de ma voix trahi l'urgence du moment, ils m'écoutent maintenant.
"Il y a un type qui est parti avec votre portefeuille, vous ou vous monsieur, le jeune avec un béret qui était là" leurs visages jusqu'alors joyeux se décomposent, ils portent soudainement leur mains à leurs poches, ils sortent, dans le flot de la foule ils cherchent du regard, ils semblent ne pas vouloir jouer ce nouveau rôle que je leur ai brutalement imposé: "le soir où j'ai du forcer un gars à me rendre mon portefeuille". Tout se passait si bien jusqu'à présent.
"Hé! HE! TOI!!" ils partent dans la direction du type.les portes se referment.L'ont-ils attrapé? si oui que lui ont-il fait? En un sens je me sentais plus proche du jeune béret que de ces gars, ils avaient des têtes à voter Sarkozy ou pire, Marine le Pen. Je lui ai laissé sa chance, s'il court assez vite il s'en sortira, mais eux aussi devront courir. Un peu d'exercice ne leur fera pas de mal.
Mon coeur bat toujours aussi fort.